Billet d’opinion
La semaine dernière, un interlocuteur m’a invité à attirer l’attention de mes étudiants que « leur avenir est lié à celui de Liège Airport », et à m’exprimer contre la position du Fonctionnaire délégué, afin que « l’e-commerce se développe plus en Wallonie ».
C’est un peu mal me connaître : je suis plutôt sourd aux invitations de ce genre, et je ne souhaite pas prendre part à un débat qui m’échappe, entre ceux qui font du chantage à l’emploi et ceux qui font du chantage électoral en matière d’impact des nuisances sonores. Je n’ai d’ailleurs aucune compétence pour juger du nombre (et de la nature) souhaitable des mouvements aéroportuaires, que ce soit sur le plan économique ou des nuisances.
J’ai donc attendu que l’arbitrage politique soit pris ce week-end par rapport à ce débat pour m’exprimer sur l’aspect que je maîtrise mieux et qui aurait dû être dissocié: l’e-commerce.
Le développement de l’e-commerce wallon serait-il lié à l’aéroport ?
Certains présentent comme une évidence qu’en facilitant l’extension des activités de l’aéroport, l’emploi en e-commerce se développera plus en Wallonie. Or, à ma connaissance il n’y a aucune étude économique réalisée en la matière. Aucune analyse des différentes externalités n’a également été effectuée. Et il n’a certainement pas consensus entre économistes sur l’impact macro-économique positif du fret aérien non urgent. J’ai ainsi relevé le point de vue d’ Etienne de Callataÿ, parmi les meilleurs analystes belges, lors d’un conférence vendredi dernier. S’il voyait dans le contexte international de nombreuses opportunités contrairement à de nombreux oracles, les 2 seules notes négatives qu’il a exprimées concernaient l’enseignement en FWB et… la stratégie aéroportuaire à Liège.
A propos de l’e-commerce, je relève dans les médias des positions extrêmes que j’ai bien difficile de comprendre. Bizarrement les 2 extrêmes se rejoignent pour considérer que le secteur de l’e-commerce se résume à de la manutention de colis commandés sur des marketplaces internationales (!). Pourtant il y a tant d’autres activités à valeur ajoutée concernées, et d’autres modèles d’affaires, tels l’e-commerce de circuit courts, l’e-commerce de service, le BtoB… Ce malentendu essentiel perdure depuis des années, au point de se demander s’il n’y a pas une part de mauvaise foi pour auto-alimenter les oppositions.
J’avais déjà tenté d’effectuer une analyse voici 5 ans à propos, à l’époque, de l’annonce probable d’Alibaba (Cainiao) à Liège. J’étais éloigné tant des positions des défenseurs que des opposants, avec néanmoins un a priori d’une balance globalement positive, voyant dans cette nouvelle plutôt une opportunité de constituer un écosystème e-commerce dans une Wallonie très en retard en la matière.
Nous sommes en 2023. Ce retard reste malheureusement toujours très marqué en Wallonie. Les suggestions émises pour développer le secteur n’ont guère été suivies. Et force est de constater que les acteurs étrangers venus s’implanter n’ont contribué jusqu’à présent au développement d’aucun écosystème e-commerce local. La valeur ajoutée générée est faible et les retombées significatives en emplois se limitent essentiellement au secteur logistique et immobilier.
J’aurais bien de la peine maintenant à estimer que les avantages l’emportent sur les inconvénients. J’ai notamment relevé lors d’une enquête réalisée en 2022 auprès d’e-commerçants belges qu’aucun des participants n’a signalé Liège Airport comme une opportunité ; par contre spontanément des acteurs du secteur ont regretté les distorsions de concurrence apparues. Ceux qui se positionnent dans l’e-commerce de proximité peinent quand ils doivent payer nettement plus leur envoi BE ==> FR que CN ==> BE. Or, ce n’est pas moins de l’ordre d’un demi-milliard de petits colis e-commerce qui transitent chaque année par Liège, en flux entrants, alors que les flux e-commerce vers l’Asie sont minimes !
Quant aux opportunités qui se présentent aux étudiants… En 21 ans, près de 2000 étudiants ont assisté à mes cours d’e-commerce et d’e-business. Je ne peux que déplorer que, malgré la formation spécialisée qui leur a été apportée, le pourcentage d’étudiants qui ont eu l’opportunité à la sortie des études de travailler dans l’e-business est globalement inférieur à 50%. Le principal frein à l’engagement se révèle être… la non / mauvaise maîtrise du néerlandais, car c’est de l’autre côté de la frontière linguistique (Flandre / Pays-Bas) que les jobs se trouvent en masse. La situation s’est améliorée ces 5 dernières années, mais LinkedIn me relève que seulement 4 anciens étudiants travaillent actuellement en e-commerce dans la zone autour de Liège Airport. Une fraction insignifiante. Aucun ne travaille pour les 2 grands acteurs chinois présents.
Préparons-nous à l’avenir du commerce !
Désolé donc : je ne crois pas que l’avenir de ces étudiants se trouve au niveau des activités aéroportuaires et continuerai plutôt à leur ouvrir l’intérêt sur d’autres modèles d’affaires grâce au numérique, et les préparer à un changement de paradigme très probable, dont ils sont de plus en plus conscients : des mesures devront être prises pour ralentir les émissions de gaz à effet de serre, ce qui aura des conséquences notamment pour le fret aérien. Celui-ci fera probablement l’objet de taxations pour compenser les externalités négatives, et (re)deviendra réservé au transport réellement express. La fast fashion, avec des produits de moins de 20 € qui font 10 000 km pour arriver à J+2, ce ne devrait pas être l’avenir. Il est probable que d’autres formes de commerce en ligne deviendront plus compétitives, et permettront la création de jobs au-delà de la pure manutention et gestion de flux logistiques internationaux. Donc des opportunités à saisir.
Dommage que dans le débat, certains s’obstinent à rêver « la fin de » ce qui croient être « l’e-commerce » et d’autres voudraient à l’opposé « plus d’avions ». Au lieu de viabiliser de nouveaux hectares et faire des plans sur 40 ans, il serait probablement plus judicieux dès maintenant de prévoir un « phasing out » pour les activités e-commerce d’import plutôt que de se retrouver dans quelques années avec une taxe carbone d’un montant astronomique pour la Wallonie, qui obligera à une reconversion économique qui rappellera le contexte sidérurgique, avec également des terrains en friches.
Et surtout, il devrait être temps de mieux se préparer à l’avenir du secteur commercial, dont la transformation numérique est inévitable, poussé par le consommateur. Au lieu de regarder passivement celui-ci acheter massivement en ligne auprès de vendeurs situés dans les pays limitrophes, ne faudrait-il pas saisir plus l’opportunité de vendre en ligne aux clients des autres pays européens (et du Royaume Uni) ?
Damien Jacob – 29 Janvier 2023