« L’arrivée d’Alibaba en Belgique: un cadeau empoisonné » titrait à la mi-février 2023 le magazine Gondola, sur base d’une étude de Jonathan Holslag (VUB), qui conclut que la Belgique, déjà plaque tournante du trafic de cocaïne, est devenue également une porte d’entrée d’une série de trafics liés à des ventes en ligne auprès de vendeurs chinois.
Si cette étude mériterait d’être corroborée par d’autres analyses afin de renforcer la démarche scientifique, le constat d’un très net déséquilibre des flux entre la Chine et la Belgique en e-commerce + d’un manque flagrant de moyens pour détecter (et, je rajouterai, pour sanctionner) les différentes formes de fraudes lors de l’importation de produits est flagrant et n’est d’ailleurs pas une surprise. Les Services concernés au SPF Finances (douanes, TVA) et au SPF Economie (chargé de la lutte contre la contrefaçon et du respect de la réglementation e-commerce) le vivent sur le terrain.
Ces 2 aspects avaient déjà été identifiées comme menaces dès la signature du contrat entre les autorités publics et Alibaba, dans l’article que j’avais publié en 2018 (synthèse). Je pronostiquais que « à part des jobs liés à la logistique (et les jobs indirects générés dans le secteur de la construction pendant la phase d’installation), le métier qui sera probablement le plus nécessaire sera… celui de douanier. Il s’agit cocassement… d’emplois publics« .
Pas assez de contrôles lors de l’importation de colis en e-commerce
Malheureusement, il n’y en a pas assez, des douaniers belges, pour contrôler plus de 10 millions de petits colis… PAR SEMAINE à Liège Airport, surtout face à certains importateurs très « rusés ».
Avec un titre « Pire que la cocaïne« , l’auteur de l’étude dépasse probablement le cadre d’une recherche géostratégique, puisque celle-ci n’a pas consisté à effectuer une comparaison entre les 2 « activités ». Sur le fond, il s’agit avant tout de fraudes économiques et fiscales, certes avec des infractions pénales à la clé, mais me semble-t-il quand même pas avec le même niveau de gravité (PS: la limite n’est probablement pas très loin, puisqu’il semble qu’il y ait au moins un dossier judiciaire ouvert de tentative de corruption).
De même, les médias ne devraient pas pointer du doigt une société spécifique, alors que celle-ci joue avant tout un rôle de place de marché, les infractions étant commises surtout par les vendeurs étrangers (…et quelques complices parmi les intermédiaires logistiques et leurs sous-traitants).
Instaurer une concurrence loyale entre vendeurs en ligne
Par contre, je rejoins l’auteur sur l’utilité de dénoncer cette situation. Celle-ci a un impact macro-économique considérable dans le secteur: elle est de nature à rendre bien difficile le développement (et la rentabilité) de l’entrepreneuriat en e-commerce en Belgique face à cette concurrence déloyale. Cela nuit aussi globalement à l’image du secteur: de plus en plus de personnes associent « e-commerce » = « des marketplaces étrangères agissant de façon déloyale », alors que de l’e-commerce de proximité et éthique est possible.
Certains fermeraient les yeux devant l’aggravation engendrée par la croissance fulgurante des flux d’importation en 4 ans, et souhaiteraient le statu quo pour ne pas contrarier les investisseurs étrangers qui ont permis la création d’un hub international, et de (quelques) emplois. D’autres au contraire voudraient fermer tout de suite les sites aéroportuaires facilitant ces importations, en mettant exagérément toutes les sociétés dans le même sac.
Souhaitons que cette étude incite les pouvoirs publics plutôt à trouver le juste milieu, et mettent avant tout plus de moyens dans le contrôle et la répression (renforcer les équipes pour poursuivre pénalement), afin de rétablir l’équité entre acteurs économiques… mais aussi prennent des décisions au niveau européen pour répercuter les « externalités environnementales », l’enjeu climatique devant être nettement plus intégré dans l’équation.
La fast fashion, avec des produits de moins de 20 € qui font 10 000 km dans une soute pour arriver à J+2, ce ne devrait pas être l’avenir. La consommation de produits durables devrait être stimulée et il paraît bien aberrant qu’il soit moins cher d’importer en avion un petit colis provenant de Chine que transporter le même produit entre Liège et Metz !
15/2/2023